Itinérance | Lanaudière n’y échappe pas

L'équipe spécialisée en itinérance dans Lanaudière du CISSS de Lanaudière.
(Photo gracieuseté)
L’équipe spécialisée en itinérance dans Lanaudière du CISSS de Lanaudière. (Photo gracieuseté)

Pénurie de logements abordables, inégalités sociales qui se creusent, enjeux de santé mentale et/ou de consommation; ces facteurs, sans s’y limiter, contribuent au phénomène de l’itinérance qui préoccupe de plus au plus, aux quatre coins du Québec. Alors qu’un nouveau dénombrement des personnes en situation d’itinérance visible se déroulait à travers la province le 15 avril dernier, l’Hebdo Rive Nord s’est intéressé à l’état des lieux dans la région. Quel visage l’itinérance revêt-elle dans Lanaudière ?

Pour le savoir, notre journaliste est allée à la rencontre, au cours des derniers mois, de l’Équipe spécialisée en itinérance dans Lanaudière (ÉSIL) du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Lanaudière, des équipes d’interventions intégrées aux services d’urgence et des ressources d’hébergement. Trois personnes ayant vécu des enjeux d’itinérance nous livrent également leur témoignage.

 

Le visage de l’itinérance a changé

Les résultats du dénombrement des personnes en situation d’itinérance visible, auquel la région de Lanaudière a participé en avril dernier, pourraient prendre encore quelques mois à être rendus publics. Néanmoins, au CISSS de Lanaudière, l’Équipe spécialisée en itinérance (ÉSIL) s’attend à y découvrir des chiffres en hausse. Car, dans les dernières années, les facteurs de risque de l’itinérance se sont multipliés; rendant la ligne entre le toit et la rue plus mince que jamais.

L’Hebdo Rive Nord s’est entretenu avec Tatiana Frenette-Erazo, coordonnatrice interprofessionnelle de l’ÉSIL, afin d’en apprendre davantage sur les visages que prennent l’itinérance dans la région de même que sur les leviers dont les intervenants disposent pour soutenir ceux et celles qui vivent en marge de la société.

« Le dénombrement, c’est une photo. Ce n’est pas complètement représentatif, mais d’après moi, c’est assez évident qu’on va avoir une augmentation claire », affirme d’emblée Tatiana Frenette-Erazo. Si on associe facilement l’itinérance aux personnes qui fréquentent les ressources d’hébergement, qui vivent dans des campements improvisés ou qui mendient près des commerces, le portrait est beaucoup plus complexe que cela, rappelle la coordonnatrice de l’ÉSIL.

L’itinérance se cache parfois dans l’instabilité résidentielle des personnes qui naviguent d’un sofa à un autre le soir venu pour trouver un peu de chaleur; dans le réflexe qu’ont d’autres de demeurer dans des lieux inadéquats – insalubres, avec un conjoint violent – pour éviter la rue, mais qui passent le plus clair de leur journée à l’extérieur. Si on tend à l’oublier, l’enjeu de l’itinérance existe aussi en milieu rural, où le phénomène de précarité financière touche beaucoup de gens. « Il y a de la misère, mais dans des roulottes, des cabanons, des cabanes dans le bois. C’est de l’itinérance très très cachée. »

Les hébergements débordés

Or, même en excluant du compte toutes ces personnes difficiles à identifier, Tatiana et son équipe sont à même de constater les besoins grandissants en matière d’itinérance. Autant à Joliette qu’à Terrebonne, où on retrouve La Hutte, les centres d’hébergement d’urgence dans Lanaudière, le téléphone ne dérougit pas. « Avant la pandémie, on avait un organisme qui s’appelait le HUL à Joliette. Il y avait à peu près huit places à l’hébergement et trois places au dortoir. Après la pandémie, La Hutte est arrivée à Joliette. Il y a 50 places et c’est plein tout le temps », assure Tatiana.

Selon elle, la demande est constante dans les deux centres de la région. Une certaine accalmie est observée lorsque la température devient plus clémente, mais « l’hiver les gens doivent réserver pour le dortoir à 14h30 et à 14h32 il n’y a plus de places ». Les facteurs menant à l’itinérance sont nombreux et complexes. Cependant, Mme Frenette-Erazo se doute que la crise du logement a eu un impact direct sur la situation qui prévaut actuellement dans la région. Avec les prix de loyers qui ont monté en flèche, la coordonnatrice est forcée de reconnaître que les appels à l’aide qu’elle reçoit ont changé du tout au tout. Malgré des revenus d’emploi décents, il n’est pas rare qu’une personne qui vit une séparation ne parvienne pas à se reloger.

Tatiana Frenette-Erazo. (Photo gracieuseté)

Octogénaire et à la rue

Les personnes âgées constituent aussi une clientèle de plus en plus représentée en itinérance, constate-t-elle. « Avant, on ne voyait pas tellement ça, mais maintenant des références à La Hutte pour des gens de 80 ans, il y en a. Parfois, c’est le premier épisode d’itinérance à 75-80 ans », se désole Tatiana Frenette-Erazo. La perte du logement abordable qu’elle occupe depuis de nombreuses années est souvent fatale pour cette clientèle, explique l’intervenante. Un logement 3 et demi coûte souvent plus de 1 200 $, tandis qu’un appartement en résidence pour aînés dépasse les 1 800 $ par mois. « Ce n’est pas réaliste pour nos aînés qui ont 1 600$ par mois […] La porte est vraiment plus proche qu’avant », résume-t-elle.

Lorsque l’itinérance se cristallise dans les habitudes, les leviers pour venir en aide se font de plus en plus restreints. « C’est beaucoup d’impuissance au quotidien, admet Tatiana. Il faut être présents dans la communauté et garder le lien de confiance. Ce sont les deux éléments les plus importants dans ce qu’on fait. Parce qu’on ne sait jamais quand le momentum va arriver et que les choses vont débloquer. » Dès lors que la porte s’ouvre, les huit intervenants que compte désormais l’équipe de Tatiana sont à même d’accompagner les usagers dans leurs démarches; qu’elles soient médicales, pour trouver un logement, traiter leurs problèmes de dépendance, mettre de l’ordre dans leurs papiers et plus encore.

Force est de constater que malgré la non-garantie de résultats, les allers-retours fréquents, les personnes qu’ils perdent de vue et qu’ils retrouvent plus démunies qu’avant, les réticences, les revers et les enjeux de consommation qui s’en mêlent, les intervenants en itinérance ont cette capacité à voir le bon en chaque être humain : « Ce sont des gens qui ont des histoires fascinantes à raconter et on doit comprendre le portrait global pour pouvoir les aider; c’est un long processus », conclut Tatiana, le regard brillant de passion et d’espoir.

 

 

L’itinérance, par définition

Selon la Politique nationale de lutte à l’itinérance dont s’est doté le Gouvernement du Québec,  l’itinérance désigne un processus de désaffiliation sociale et une situation de rupture sociale qui se manifestent par la difficulté pour une personne d’avoir un domicile stable, sécuritaire, adéquat et salubre en raison de la faible disponibilité des logements ou de son incapacité à s’y maintenir et, à la fois, par la difficulté de maintenir des rapports fonctionnels, stables et sécuritaires dans la communauté. L’itinérance s’explique par la combinaison de facteurs sociaux et individuels qui s’inscrivent dans le parcours de vie des hommes et des femmes.

 

Quelques chiffres…

  • 314 : Nombre de personnes en situation d’itinérance visible dénombrées le 11 octobre 2022
  • 35% : Hausse observée du phénomène dans Lanaudière entre 2018 et 2022
  • 71,2 % : Pourcentage des personnes en situation d’itinérance recensées qui étaient des hommes.
  • 30 à 49 ans : tranche d’âge la plus concernée par l’itinérance dans la région de Lanaudière (42,2%)

 

 

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