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01 mars 2005

Abdula le nomade

Voilà le dernier récit de Stéphane Blais, notre «correspondant» au Bénin. De retour d’un stage de plus de cinq mois, il nous raconte son voyage au cœur de la vie d’Abdula le nomade.

J’ai quitté le Bénin le 17 janvier. Avant de revenir au Canada, j’ai fait un petit voyage en train dans le nord du pays, afin de découvrir les différents peuples qui y vivent, mais aussi parce que le nord du Bénin possède le plus grand sanctuaire d’animaux de toute l’Afrique de l’Ouest.

Le train traverse le pays du sud au nord. Au fil des kilomètres, la luxuriante forêt tropicale laisse place à la savane arbustive jusqu’à la simple savane, complètement au nord du Bénin, à la frontière du Niger et du Burkina Faso. C’est dans ce territoire sec et aride que je me suis arrêté afin de faire un safari. Abdula, lui, a continué en traversant le Sahel nigérien, jusqu’au désert du Sahara afin de rejoindre sa famille.

Abdula le Touareg

Abdula est un Touareg que j’ai rencontré dans le train. Les Touaregs sont des nomades d’origine berbère. Au nombre d’environ un million, ils sont présents dans tout l’espace saharien. Les Touaregs n’ont ni maison ni ameublement; ils vivent complètement dépourvus de biens matériels. Ils mangent, boivent et dorment là où le désert le décide. Leurs uniques possessions sont leurs bétails, vaches, moutons et chameaux, avec lesquels ils luttent chaque jour pour survivre dans un des territoires les plus hostiles de la planète.

Depuis la conférence de Berlin en 1884 et le «découpage» des frontières de l’Afrique par les pays européens, les Touaregs, qui avaient toujours voyagé librement, ont commencé à se heurter à plusieurs problèmes concernant les frontières du Sahara. Les répressions et la marginalisation du peuple Touareg par le Mali et le Niger se sont soldées par plusieurs conflits armés, dont une période très sanglante dans les années 90. Les Touaregs, aussi connus sous le nom «d’hommes bleus du désert» (à cause de leur longue tunique et de leur foulard indigo qui couvre le visage), se sont forgé une réputation de guerriers téméraires.

Sécheresse et famine

En 1997, la sécheresse et la famine ont tué une bonne partie des troupeaux d’Abdula. Il a donc quitté le désert afin de trouver de l’argent pour racheter du bétail. Depuis ce temps, chaque année, Abdula va passer quatre ou cinq mois dans le sud du Bénin afin de vendre des coffres en peau de chameau et des bracelets aux touristes.

Comme Abdula, des centaines de milliers d’Africains quittent leur village chaque année, espérant trouver, dans les grands centres urbains, de la nourriture et une meilleure qualité de vie. Pour la plupart d’entre eux, cette vie urbaine devient un labyrinthe infernal où ils errent à la recherche d’une sécurité qu’ils ne connaîtront probablement jamais.

À chaque gare où le train s’arrête, des dizaines de femmes se ruent aux portes des wagons afin de vendre des bananes, des papayes, des ananas ou des oranges. Ces dames ne connaissent pas l’heure d’arrivée du train, pas plus que les passagers du train, pas plus que le chauffeur du train lui-même, qui ne peut garantir un horaire fixe. Pour certaines commerçantes, les passagers du train, qui s’arrêtent cinq minutes tous les deux jours, sont leurs seuls clients. Alors avant chaque arrêt, on les aperçoit courir sur les flancs du train, dans un nuage de sable, en empilant les fruits sur leur tête, en espérant que le train ne sera pas reparti lorsqu’elles auront atteint la gare.

L’espace du désert

Abdula m’explique que le mode de vie sédentaire et précaire ne l’intéresse pas. Je lui demande alors si le cœur du Sahara, où même les cactus se font brûler par le soleil, n’est-il pas difficile à battre en matière de précarité. Lorsque je lui ai posé la question, son regard a changé. Ce n’était plus le vendeur de rue qui tentait de me vendre un coffre en peau de chameau qui parlait, mais plutôt Abdula le nomade, l’authentique, qui se nourrit des grands espaces et du perpétuel combat avec les forces de la nature. Il m’explique que même s’il doit parfois marcher deux jours avant de trouver de l’eau, aucun autre mode de vie ne l’intéresse, la vie au village le laisse complètement indifférent. Il s’intéresse encore moins à la vie des grandes capitales africaines. Il connaît le téléphone, la télévision et Internet, mais il préfère le silence des massifs montagneux du Sahara central au tumulte des centres urbains.

On s’est laissé sur ces paroles, et Abdula m’a dit que si je revenais un jour en Afrique, il serait très honoré de m’inviter dans son clan et sa famille afin que je comprenne mieux la façon de vivre des Touaregs.

Mais ce mode de vie est de plus en plus menacé par la rareté de l’eau. Malheureusement, la sécheresse réussira peut-être là où les politiques gouvernementales ont échoué : forcer Abdula et son peuple à se sédentariser.

Stéphane Blais

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