Actualité
Retour01 février 2002
JASON le Terrible lève le masque
Philippe Pilette
Richard Courcy était plutôt surpris qu'un journaliste l'appelle pour solliciter une entrevue, lui qui n'a jamais cherché la publicité et dont le visage est à peu près inconnu de la plupart de ses admirateurs. Après avoir appris que c'est un ami qui a mis le journaliste sur sa piste, il a accepté volontiers de parler de sa passion.
Dans la peau d'un méchant
Richard Courcy a toujours aimé les sports de combat. Il a commencé par faire de la boxe alors qu'il était adolescent. Puis, un jour, il répond à une annonce dans le journal où l'on cherchait des apprentis lutteurs : " Je savais que je pouvais faire ça ", raconte le lutteur.
Après un mois et demi d'entraînement, il était déjà prêt pour ses premiers combats. " Quand tu commences, les entraîneurs te jaugent. Moi, j'étais fait pour un rôle de "bad" ", raconte Richard. Dans ce genre de spectacle, tous les lutteurs doivent se choisir un rôle de bon ou de méchant. Il a déjà essayé de jouer les "clean" - sa femme Johanne lui avait même confectionné un magnifique costume de Power Ranger - mais ça n'allait pas : " Je n'étais pas à l'aise, dit-il. Mon personnage est violent et brutal. Être Jason, c'est facile pour moi ", explique Richard Courcy.
Pour le lutteur, le but du combat n'est pas de battre son adversaire mais de donner un bon spectacle. " Moi, ça ne me fait rien de perdre. L'important, c'est de bien perdre. Il faut que le public ait un bon show ", poursuit Jason, qui m'explique que son personnage, étant "indestructible" et masqué, possède un avantage sur les autres: il peut revenir lutter plus d'une fois dans la même soirée, comme cela lui est arrivé à l'occasion.
Pour rendre le combat plus "vrai", les adversaires doivent se prêter au jeu et multiplier les mimiques expressives, montrer qu'un coup reçu a vraiment fait mal. Il faut exagérer, en mettre beaucoup pour "crinquer" le public.
Jason entre sur le ring muni d'une énorme machette, cadeau d'un spectateur. Son personnage, inspiré du Jason des films d'horreur, porte un masque blanc décoré de traînées rouges. Jason porte aussi de lentilles cornéennes blanches, ce qui lui donne un air encore plus terrifiant. Il ne parle jamais mais grogne avec férocité lorsqu'il fonce sur ses adversaires.
" J'ai beaucoup de succès auprès des enfants. Lorsque je m'approche d'eux et les regarde d'une certaine façon, ils ont vraiment peur! ", dit-il.
Un combat peut durer de 10 à 15 minutes. " La lutte au Québec, c'est pas payant. Il n'y a pas d'argent à faire là. Je fais ça pour le plaisir ", dit-il. Son fils Jean-François, 12 ans, l'accompagne presque toujours. À la fin d'un combat lorsqu'il descend du ring, ils se regardent et Richard sait immédiatement s'il a été bon ou non.
Un scénario
Habituellement, Richard Courcy sait une semaine à l'avance qu'il sera d'un spectacle . Un peu avant le combat, il rencontre son adversaire et les deux se mettent d'accord sur le gagnant et sur la prise de finition. " À partir du "finish", on bâtit le scénario depuis le début. En général, je contrôle tout d'un bout à l'autre. Par exemple, je vais dire à un jeune : j'te casse, tu reprends l'over, j'te casse encore, tu reviens faire ton finish ", explique-t-il.
Le lutteur doit faire en sorte que le gagnant obtienne son "heat" du public, qu'il soit mis en valeur pour faire une belle finale. Bien qu'il y ait une bonne part d'improvisation, le scénario est dosé comme un ballet, de façon à ce que chacun des lutteurs ait l'avantage à tour de rôle. " On se parle tout le long du combat. On "call des shot " ", dit Richard. Les lutteurs s'arrangent pour faire monter la tension dans la salle, déjouent les attentes du public pour finalement laisser gagner le "bon", qui doit tout de même mériter sa victoire.
L'arbitre a un rôle très important. Il est le communicateur entre les adversaires, informant l'un lorsque l'autre est blessé ou prévenant les lutteurs que leur temps achève et que le public se lasse.
Pesant 240 livres et mesurant six pieds trois pouces, Jason est un adversaire redoutable.
Sur le site web de la Fédération de Lutte Québécoise, on peut lire une description du lutteur : "gigantesque, mystérieux et terrifiant. Style: hardcore. Prise de finition: Choque Slam. Sait exploiter les peurs de ses adversaires en utilisant une violence sauvage et sanguinaire. L'affronter est toujours considéré comme une tape déterminante dans une carrière".
Les amateurs connaissent bien sa marque de commerce: étrangler ses adversaires et les frapper à coup de chaises! " C'est un art de donner un coup pour que ça ait l'air vrai. Le seul coup qui fait vraiment mal est le Chop, un coup du plat de la main sur la poitrine qu'on fait lorsqu'on est plus près du public ", dit-il. " Il y a des risques des blessures surtout lorsqu'on commence: on veut essayer ce qu'on voit à la télé. Aujourd'hui, je ne me blesse plus ", affirme-t-il.
" La lutte, c'est apprendre à donner des coups et à contrôle les coups. C'est un accord entre les adversaires : tu me prêtes ton corps, je te prête le mien. Le tout est de savoir contrôler ses effets ", dit encore le lutteur.
L'un des adversaires préférés de Richard Courcy est Iceberg, dont il parle avec admiration: " Il se présente sur le ring avec un serpent. Ce gars-là se dépense et donne un vrai bon show. Ça a toujours l'air vrai lorsqu'il se fait blesser " , affirme-t-il.
Une thérapie
Richard Courcy est bien conscient que la lutte intéresse principalement une certaine catégorie de public. Pour une bonne partie des spectateurs, ces soirées sont une divertissement bon marché. " Ils peuvent crier et se défouler. A la fin, ils sont vidés ", dit Richard, qui compare ce spectacle aux anciens combats de gladiateurs. " Les gens aiment voir des hommes forts s'affronter. Ma femme m'a dit un jour que j'étais comme une sorte de thérapeute pour le public ", dit-il.
Bien que la majorité des gens n'aient jamais vu son visage, certains de ses "fans" les plus acharnés, à force de le traquer, ont fini par le reconnaître. " Pour ces gens, je suis presque un dieu ", affirme Richard.
En convalescence
Lorsque je l'ai rencontré, Richard Courcy venait d'être opéré au pied pour un problème qu'il traînait depuis longtemps. Au repos pour quelques semaines, il m'a fait voir quelques extraits vidéos de ses combats où on le voit tordre le cou à ses adversaires, hué par la foule pour son plus grand plaisir. Le lutteur (qui m'appelait "chef") a bien hâte de retourner sur le ring. Lorsqu'il sera de nouveau sur pied, on pourra le voir à l'oeuvre les vendredis soir, le plus souvent au Théâtre Extrême, au coin des rues Cartier et Rosemont à Montréal.
Stéphane Lemieux, un amateur de lutte et admirateur de Jason, a monté un site web où il commente les combats et les activités des différentes fédérations de lutte (il y en a six ou sept à Montréal) et suggère des liens. L'adresse:
www.leremorqueur.com.
Commentaires