21 juin 2011
UN BRIN D'HITOIRE

©Une belle scène hivernale présentant la rivière Mascouche et la forêt domaniale, le moulin à scie et la maison du meunier, puis à droite, le manoir, du temps de la famille Corbeil. (Photo : collection Claude Martel)
Le domaine seigneurial de Mascouche - 2e partie
La chronique de la semaine dernière nous a permis de découvrir la richesse de ce site et ses origines. Découvrons cette semaine l'époque «industrielle» du domaine seigneurial.
Jacob Jordan
Lorsque Jacob Jordan acquiert la seigneurie de Lachenaie, en 1785, il figure comme un important négociant dans le commerce du blé, en plus d'être seigneur de Terrebonne (depuis 1784), où se trouvent plusieurs gros moulins. Jordan abandonne alors le moulin à vent de Lachenaie et restaure le moulin à eau de Mascouche afin de rationaliser l'exploitation de la seigneurie. La région est, à l'époque, une des plus importantes productrices de blé au pays, expliquant les motivations du nouveau seigneur. Notons que Jordan n'habite pas le domaine, ce qui nous laisse croire qu'il n'a pas construit de manoir.
Peter Pangman
En 1794, Peter Pangman, quitte ses activités de traite des fourrures en Saskatchewan et vient s'établir à Mascouche après avoir acquis la seigneurie. Il devient le premier seigneur à habiter le domaine de Mascouche. On peut donc émettre l'hypothèse que c'est lui qui, vers 1795, aurait procédé à la construction du manoir, dont la dimension est encore modeste (59 X 31 pieds). Il y ajoute par la suite une aile sur le côté est (entre 1795 et 1819).
Comme il n'y a pas encore de village dans la seigneurie, le domaine forme le cœur des activités commerciales de ce territoire. Pangman concentre ses activités sur l'exploitation forestière. Il dispose d'un moulin à scie où l'on fait descendre du bois de construction jusqu'au fleuve Saint-Laurent. Mais aussi, il établira un moulin à scie en bordure de la rivière de l'Achigan, qui, à son tour, donnera naissance au village de Saint-Lin. On lui doit également la concession des terres de l'ouest de Mascouche, le développement du rang de La Plaine et du territoire actuel de Saint-Lin, ce qui générait un énorme volume de bois à ses moulins. Peter décède en 1819. La seigneurie est alors administrée par Georges Henry Monk jusqu'à la majorité de son fils John.
John Pangman
Fort de l'héritage familial, John devient rapidement un notable. Il exerce les fonctions de juge de paix du comté, de lieutenant de milice, de membre du Conseil législatif du Bas-Canada (sénateur). Il habite le manoir et fait construire, en 1840, une église anglicane, la Grace Anglican Church (face à leur cimetière), en l'honneur de son épouse, Grace MacTier.
Un plan de 1830 nous confirme la présence d'un moulin, appelé «Moulin du Rapide», d'un manoir de forme rectangulaire avec une aile à l'arrière du côté est, et d'un bâtiment non identifié. C'est probablement John qui doublera la superficie du manoir en lui ajoutant un corps de logis à l'ouest, ainsi que l'aile ouest. À compter de 1831, le moulin à scie abrite aussi un moulin à fouler et à carder la laine. Les colons lui reprochent de se réserver trop de bois, et ce, même sur les terres concédées, représentant parfois 50 % de la terre en bois de cèdre. Pangman est avant tout un homme d'affaires, un grand exploitant forestier, et la seigneurie, c'est un capital qu'il fait fructifier. N'est-il pas surprenant qu'en 1842, il obtienne le bureau de poste de Mascouche et que soit son régisseur qui en prenne la direction?
Malgré l'abolition du régime seigneurial, en 1854, le domaine seigneurial est conservé intact, les moulins étant exploités à plein régime. Toutefois, c'est l'époque à laquelle le village de Mascouche prend son envol, diminuant le rôle stratégique du domaine dans l'économie locale. Mascouche est scindé en deux groupes socioculturels, les Français au bas du coteau, regroupé autour du village, et les Anglais, en haut du coteau, regroupé autour du domaine du «Rapids».
John Henry Pangman
À compter de 1867, John Henry devient propriétaire du domaine. Tout comme son père, il exploite des moulins à scie, développe une manufacture de châssis à Saint-Lin et un chemin de fer entre Saint-Lin et Sainte-Thérèse. Le manoir est désigné sous le nom de «Grace Hall». À compter de 1877, le domaine perd de son importance au profit de Saint-Lin et prend davantage l'aspect d'un lieu de villégiature; d'ailleurs, l'entretien des lieux est confié à Mélaine Delfosse, le père de l'artiste peintre Georges Delfosse.
Au décès de John Henry, ses héritiers considèrent le domaine comme «plus dispendieux que profitable» et le domaine est vendu aux enchères par le shérif du district de Joliette. À cette époque, certaines parcelles du domaine original ont été loties en faveur de la fabrique anglaise, mais la configuration du domaine demeure inchangée.
Calixte et Uldaric Corbeil
En 1881, les frères Corbeil se portent acquéreurs du domaine. Uldaric Corbeil habite le manoir et exploite le moulin à farine et la scierie mécanique. Calixte s'occupe de l'exploitation agricole, mais devient le véritable propriétaire de la terre «749», notamment après les actes de partage de 1893 et 1913. En 1926, le barrage sera reconstruit en ciment afin de remplacer celui en bois, emporté par la débâcle du printemps 1925. À cette époque, l'eau passe sous la partie nord du moulin. Nous sommes donc ici en présence d'un site représentatif des petits entrepreneurs industriels canadiens-français du début du 20e siècle.
Ainsi, de 1785 à 1930, le domaine seigneurial de Mascouche et ses moulins ont été, tout comme l'Île-des-Moulins, un centre industriel typique des seigneuries du Bas-Canada. N'est-il pas surprenant qu'un site si riche en histoire, doté en plus d'un moulin domanial, ne fasse l'objet d'aucune mesure de protection? Le moulin seigneurial de Mascouche témoigne pourtant d'une activité qui se déroule à cet endroit depuis 250 ans. La situation est encore plus étonnante du fait qu'elle se déroule dans une MRC qui porte le nom de «Les Moulins»!
À suivre
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Sources :
Ethnoscope (1987), Évaluation patrimoniale du Domaine de Mascouche, Rapport d'expertise, tomes 1, 2 et 3. Fonds de recherche de l'auteur.
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