La héronnière face à l’Île-des-Moulins en péril?

L’installation de rapaces mécaniques pour contrer la multiplication des bernaches dans l’Île-des-Moulins a suscité de nombreuses réactions au cours des mois de mai et juin. Non seulement les promeneurs ont été incommodés par la situation, mais une passionnée d’ornithologie et une biologiste du ministère de la Faune tirent la sonnette d’alarme sur les répercussions anticipées quant à la nidification de grands hérons installés sur une île privée entre l’Île-des-Moulins et l’île Saint-Jean.

Karine Limoges

Louise Dumont, ornithologue amatrice qui a découvert la héronnière en 2013 et contribué bénévolement à l’«Atlas des oiseaux nicheurs du Québec», nous a mis la puce à l’oreille. «Dans le premier nid que j’ai découvert, il y avait une nichée de quatre petits, dont un n’a pas survécu. La deuxième année, il y a eu deux autres nids», expose-t-elle, nous montrant chaque nid grâce à sa longue-vue sur trépied. On les observe ainsi facilement dans leur habitat, perché au sommet d’un haut pin.

«Il y a cinq nids actifs sur cette île privée», confirme Chantal Côté, biologiste à la Direction de la gestion de la faune de Lanaudière et des Laurentides. Sous la responsabilité du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), Mme Côté et son équipe s’apprêtent à cartographier ce site en vertu du Règlement sur les habitats fauniques comme étant une héronnière. «Cette règlementation qui vise à protéger ces habitats sensibles ne s’applique qu’en terres publiques», note Mme Côté.

À partir de cinq nids, le Ministère peut normalement protéger un site grâce à la «Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune». «Nous contacterons la propriétaire de l’île pour l’en aviser», ajoute Mme Côté. Si la détentrice le souhaite, elle pourrait en faire un don écologique. La biologiste soulève toutefois que les hérons demeurent protégés par le palier fédéral grâce à la «Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs».

Aucune approbation du MFFP

Chantal Côté insiste : «Le Ministère n’a pas donné son approbation pour ce système d’effaroucheurs.» Bien qu’elle se soit rendue sur le site de l’Île-des-Moulins avec des responsables du projet-pilote, Mme Côté assure que celui-ci n’a pas été mené en collaboration avec le Ministère. «J’y suis retournée à trois reprises, et l’une des fois, j’ai remarqué qu’un grand héron a brusquement décollé au son d’un effaroucheurs.»

Elle souligne qu’il reste important que l’oiseau couve ses œufs, surtout lorsqu’il fait encore froid au mois de mai. 

À Terrebonne, on mentionne plutôt qu’«après évaluation du Ministère, le système d’effaroucheurs ne représente pas de nuisances pour ces hérons». La Direction de la protection de la faune du MFFP a transmis ses recommandations à la Ville de Terrebonne, lui réclamant de «modifier son approche afin de limiter l’impact sur la nidification des grands hérons». «La Ville devra plutôt encourager des moyens qui empêchent les bernaches d’accéder au parc», cite Mme Côté.

Et les autres espèces?

Outre sa préoccupation pour la nidification des grands hérons, Louise Dumont dit avoir remarqué que les goélands à bec cerclé, les bernaches du Canada, les canards colverts et les pigeons bisets qui peuplent l’Île-des-Moulins étaient moins nombreux depuis l’installation d’effaroucheurs. Une autre citoyenne, Louise Goulet, aussi passionnée d’ornithologie, a formulé ses inquiétudes par courriel à la Ville quant au sort réservé aux autres oiseaux nicheurs. «Je crois que la Ville a conclu trop vite que ce n’est pas grave, le bruit des effaroucheurs», souligne Louise Dumont.

Notons qu’à Terrebonne, on rappelle que les rapaces mécaniques font l’objet d’un projet-pilote «qui sera réévalué en temps et lieu».