Guylaine Tremblay, la mère de tous

Guylaine Tremblay, comédienne chérie du public, parcoure les scènes du Québec pour camper Nana, la mère de Michel Tremblay, celle à qui l’auteur a redonné vie dans sa pièce Encore une fois, si vous permettez : un personnage phare de la dramaturgie québécoise qui sera sur les planches du Théâtre du Vieux-Terrebonne les 18 et 19 mars.

Nana, c’est bien sûr la mère de Michel Tremblay, mais c’est aussi la mère de tous, à l’époque d’un Québec pas si lointain. «Nana est une boule de vie, décrit la comédienne qui l’incarne depuis maintenant près d’un an. Sa maison est son royaume. Les femmes n’avaient pas de pouvoir dehors; la maison devenait leur monde. C’est là où Nana écoutait ses radios-romans, lisait ses livres, racontait ses histoires en exagérant tout, et où elle avait le droit de tout rêver. C’est un monde de passions, de drôleries et d’émotions.»

C’est dans cet univers des années 50 que prend forme cette production du Théâtre Jean-Duceppe.

Mère et fils, interprété par Henri Chassé, se retrouvent dans une cuisine, le temps de cinq tableaux, au fil de dix années, avec leur complicité manifeste et leur affection rude, mais immuables.

«C’est un cours d’histoire du Québec de l’époque, ajoute Guylaine Tremblay. On ressent tout le poids de la religion, de ce que diront les voisins et le reste de la famille, les choses non dites, les silences, l’homosexualité de son fils. Ils n’en parlent jamais, mais elle le sait. C’est une page d’histoire qu’on ne doit pas oublier. C’est de là qu’on vient.»

Nana, de la découverte à l’interprétation

C’est en 1998, lorsque la pièce a été jouée pour la première fois, que la comédienne a fait la rencontre de Nana, incarnée par Rita Lafontaine.

«J’avais été vraiment séduite et bouleversée», se souvient-elle. Elle a revu la même pièce quelques années plus tard; cette fois, c’est Louison Danis qui portait le rôle. Près de 20 ans plus tard, c’est elle qui interprète ce personnage.

«L’univers de Tremblay me parle beaucoup. J’étais très émue quand on m’a offert le rôle. J’avoue avoir eu un peu peur», confie celle qui a suivi les conseils de Michel Dumont. «Il m’a dit: "Les acteurs passent, mais les rôles restent. Je n’aurais jamais repris Mort d’un commis voyageur sinon." Il avait joué le fils de Jean Duceppe dans la première version», explique la comédienne, qui a aussi cru bon de parler à l’auteur lui-même, qui lui a suggéré de prendre «sa mère» comme un personnage de théâtre parmi d’autres. «Ma mère, il n’y a que moi qui la connais», lui avait-il mentionné.

Et pour ajouter à la pression dont elle s’était délestée, rappelons que trois jours avant la première l’an dernier, Rita Lafontaine est décédée.

«Le contexte n’était pas facile. On lui a demandé de nous protéger. On s’était parlé quelques jours avant, j’avais hâte de la voir. On l’attendait pour la première, relate celle qui a alors senti qu’elle devait porter le flambeau bien haut. La salle était remplie d’amour. Il fallait continuer.»

Grand bonheur sur scène

Et elle a continué. Quelque 60 représentations plus tard, le bonheur de se retrouver sur scène, dans le «royaume» de Nana, est total pour Guylaine Tremblay. «C’est un privilège de jouer longtemps une pièce. On peut peaufiner et aller plus loin. Tout devient plus facile. Les canaux d’émotions sont ouverts».

S’il ne reste que quelques spectacles à venir pour ce printemps, la comédienne affirme qu’elle enfilera de nouveau le costume à l’automne.

«Le Québec est grand! Une fois que le spectacle est répété, je peux le faire encore longtemps. Puis sur scène, cinq ans de plus ou de moins, ça ne fait pas de différence, lance-t-elle en riant. C’est un personnage que j’aurai beaucoup de difficulté à quitter.»