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12 mai 2017

La bataille de Saint-Eustache de 1837

À l’approche de la Journée nationale des patriotes (21 mai), on vous présente un bijou de texte qui saura vous immerger au cœur de ce que fut le conflit sanglant des patriotes et plus particulièrement, de la bataille de Saint-Eustache, tenue le 14 décembre 1837. Voici donc le récit du notaire et de l'instituteur patriote, François-Xavier Valade, qui parvient à transmettre toute l’horreur de l’événement.

Les origines du mouvement

Le commandant en chef des forces armées britanniques au Canada, John Colborne décide d’éliminer les foyers de résistances patriotes. Le village de Saint-Eustache est dans la mire. Le 14 décembre, 1 280 soldats et 220 volontaires loyaux sont aux portes de Saint-Eustache. Les troupes patriotes sont plutôt minces et ne comptent qu’environ 200 rebelles patriotes.

François-Xavier Valade

L’instituteur Valade est aussi correspondant au journal La Minerve (Montréal). Militant patriote, il refuse de prendre les armes. Pour lui, la réforme politique doit passer par les voies démocratiques et législatives. S’il se rend à la bataille de Saint-Eustache, ce n’est pas les armes en mains, mais avec sa plume. Pour une question de prudence, il se rend à Saint-Eustache que le surlendemain de la bataille. Il y produit un témoignage renversant que voici.

Extrait du récit de Valade

«Je crus prudent de ne visiter Saint-Eustache que le surlendemain du désastre. J’entrai au village sur lequel régnait encore une atmosphère de feux et que couvrait un voile de sang. Des corps de Canadiens volontaires faisaient patrouille dans les rues. Des femmes éplorées, des enfants sanglotants, des jeunes filles désolées, des vieillards décrépits encombraient les chemins; une foule d’étranges silencieux errants çà et là et parmi ceux-ci faut-il le dire, il s’en est trouvé d’assez osés pour fouiller les décombres des maisons privées et enlever ce qui avait pu échapper au fer et au sang. L’on avait dépouillé jusqu’aux froids cadavres qui gisaient sur la glace, dans les rues et sur la place publique; leur nudité absolue était un objet d’horreur. Qu’ai-je vu encore : une église qui naguère faisait l’ornement du comté, réduite en cendres encore rouges qu’il était imprudent de fouler; ça et là des morceaux d’ossements humains calcinés ou pulvérisés, quelques parties du corps carbonisé de ceux de nos infortunés compatriotes brûlés dans l’incendie de l’église; sur la place, un cadavre entier et déjà entamé par des pourceaux attirés par l’odeur de chair rôtie dans le cimetière et sur une ligne parallèle à l’église, trente à quarante corps ensanglantés; les uns avaient le crâne fracturé et la cervelle découverte, d’autres la poitrine criblée de balles; plusieurs demi-brûlés et fumant encore; ceux-ci sans bras ni jambes ne présentaient qu’un tronc affreux d’où s’exhalait une odeur fétide; sur la glace un homme nu, gelé et la poitrine percée; ailleurs des cadavres baignant dans leur sang coulé à longues traces; les malheureux avaient cru pouvoir fuir; les balles ennemies les avaient atteints — tous avaient péri après une lutte désespérée contre le fer et contre le froid; la neige était rouge de leur sang. Et au milieu de l’après-midi désolant, encore inouï dans le pays, les pleurs, les cris, les hurlements des épouses, des enfants, des mères qui cherchaient les corps de ceux qui avaient été naguère leur seul soutien et que la mort plongeait dans les angoisses d’une vie toute de misère.

J’ai vu plus d’un vieillard septuagénaire s’arracher les quelques cheveux blancs disséminés sur leur front, suintant l’amertume de la douleur. Oublierais-je le spectacle que me présentait la froide dépouille d’un brave Canadien dont le père de famille mort aussi, victime de son excès de confiance dans le gain d’une cause ingrate; le docteur Chénier était gisant sur les dalles d’une petite auberge. De toutes les folles espérances dont cet infortuné patriote se livrait, il ne restait pour sa famille qu’un avenir sans espoir et pour lui-même une mort sans nom!

Après d’abondantes larmes versées sur le sort de tant de mes chers compatriotes sacrifiés à Saint-Denis, à Saint-Charles et à Saint-Eustache, je revenais chez moi sombre et désolé lorsque je vis revenir du grand Brûlé, les deux mille et quelque cent soldats et volontaires partis la veille pour soumettre ceux d’entre nos Canadiens qui s’étaient enrôlés dans l’insurrection. Je dois dire qu’à l’arrivée des troupes à Saint-Benoît, presque toutes les maisons avaient une espèce de petit drapeau blanc suspendu à leur porte pour attester des intentions paisibles des habitants; de plus, une troupe d’hommes vinrent se rendre sans aucune condition. Cependant, l’armée s’empara du village et s’y retira; les maisons furent pillées au départ des troupes; le lendemain matin, les maisons et l’église étaient en flamme de sorte que les deux florissants villages de Saint-Eustache et de Saint-Benoit ne présentent guère aujourd’hui qu’un monceau de ruines fumantes.

Je quittai le village, le cœur brisé, méditant sur les suites funestes et irréparables d’une insurrection.

Puissent des jours aussi néfastes ne jamais reparaître dans les annales de notre belle histoire du Canada.»

Bilan de la bataille

La force disproportionnée de l’armée britannique fait en sorte que les patriotes vont rapidement trouver refuge dans le presbytère et l’église paroissiale. Mais les tirs nourris de l’armée parvinrent à détruire le lieu de culte où les patriotes s’étaient réfugiés. Le bilan est lourd. Peu armé, mal organisé, les rebelles comptent 70 morts, une quinzaine de blessées et 120 d’entre eux sont capturés par les Britanniques. En retour, les loyaux ne comptent que 3 morts et 6 blessés.

 

Sources : Bibliothèque et Archives Canada, fonds François-Xavier Valade (MG 24-K35), instrument de recherche no 2294 par Julie Bergeron.

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