Carrières Avis de décèsÉdition Électronique Rabaischocs.com Infolettre

Recherche

Recherche par terme

Journaliste

Date de parution

_

Catégories

Actualité

Retour

04 mars 2025

Jessica Potsou - jpotsou@medialo.ca

Nicole Juteau, première femme policière au Québec, raconte son histoire

Nicole Juteau

©Gracieuseté

Le père de Nicole Juteau lui a conseillé d’aller prendre une photo professionnelle d’elle en uniforme afin de garder un souvenir de son accomplissement.

Découverte par plusieurs lors de la Bibliothèque vivante organisée l’automne dernier par la Société d’histoire de Mascouche, Nicole Juteau a un parcours inspirant. La Revue l’a ainsi rencontrée afin d’en apprendre plus sur celle qui est devenue une pionnière dans son domaine. 

Il y a presque cinquante ans, la Mascouchoise Nicole Juteau marquait l’histoire du Québec en devenant la première femme policière de la province. Celle qui a ouvert la porte à plusieurs a su persévérer malgré les nombreuses embuches.   

Ayant grandi auprès d’un père pompier à Montréal-Nord, Nicole Juteau a commencé à faire du sport vers l’âge de 12 ans dans des clubs d’athlétisme, des lieux très peu fréquentés par des femmes à l’époque.  

« Moi, ma mère nous a toujours laissé faire ce qu’on voulait, autant frère et sœur. Je n’ai jamais senti que parce que j’étais une fille, je n’avais pas le droit de faire quelque chose », se rappelle-t-elle. « Près de chez moi, il y avait un grand boulevard et il y avait des accidents tous les jours. Je partais à courir pour aller voir ce qui se passait. Je me posais toujours les questions : “Est-ce que la personne va mourir ?” et “Qu’est-ce que ses parents vont penser ?”. Je m’en faisais vraiment avec ça, puis je me disais qu’eux autres, les policiers, savent tout. »  

C’est avec cette perception de l’égalité des genres et son admiration pour le travail des policiers qu’elle a décidé qu’elle rejoindrait un jour les forces de l’ordre.  

Un programme inaccessible ? Pas pour elle  

Le programme de Techniques policières étant réservé aux garçons, Nicole Juteau ne s’est pas avouée vaincue pour autant. Elle a d’abord entamé la Technique correctionnelle — qui avait les mêmes cours en première année — avant de demander un transfert pour sa deuxième session. « Je me disais qu’un coup rentré, j’allais pouvoir changer d’orientation ».  

Elle a ainsi profité du fait que l’orienteur était nouveau pour passer en Techniques policières, mais a toutefois dû signer un document comme quoi elle ne tiendrait pas le cégep responsable si elle n’arrivait pas à trouver un emploi après ses études.  

Après un parcours collégial, elle a finalement fait son arrivée à l’École nationale de police du Québec (ENPQ), où d’autres défis l’attendaient, notamment en raison des dortoirs qui n’étaient pas adaptés pour accueillir des femmes. Elle a ainsi été installée, avec deux autres filles, dans une chambre d’instructeur afin qu’elles aient leur douche.  

« Déjà, on venait de voler la chambre d’un instructeur. On en a entendu parler pendant les quatre mois qu’on était là-bas […] Il y avait aussi la complexité de ne pas avoir d’uniforme. Nous autres, nous avons été deux mois à porter notre linge civil. Ils ne savaient pas comment faire ça un uniforme de femme. »  

À l’époque, la loi sur la police exigeait qu’une personne mesure 5pi8po et pèse 140 lb pour intégrer les forces de l’ordre. C’est donc en sachant qu’elle ne correspondait pas aux critères que Nicole Juteau a tout de même fait son entrée à l’École.  

« J’avais un instructeur qui était le grand directeur de la Commission de police qui m’a pris sous son aile un peu et il m’a dit : “Regarde Nicole, ne lâche pas parce que la loi va changer” », s’est souvenue l’ancienne policière.  

Premiers pas retardés  

Après avoir terminé 3e de sa promotion dans les tests physiques, l’objectif de Mme Juteau était de se faire embaucher par un corps policier.  

« Presque tous les corps policiers du Québec sont venus recruter […] donc, nous, les filles, nous levions la main pour savoir s’ils acceptaient les femmes. »  

La police de Sainte-Foy et la Sûreté du Québec (SQ) ont été les deux seules à donner une réponse positive.  

« Le recruteur de la Sûreté du Québec qui est venu en personne à l’école ne voulait pas de femmes. Je l’ai senti tout de suite, mais, comme il parlait au nom de la SQ, je me suis dit que je n’allais pas appliquer là, mais plutôt à la police de Sainte-Foy. »  

Elle a finalement changé d’idée après qu’un instructeur l’en ait convaincue.  

« À la Sûreté du Québec, quand ils ont vu que j’avais appliqué à plusieurs endroits, ils ont accéléré le processus d’embauche. Ils voulaient m’avoir parce qu’ils avaient entendu parler de moi. »   

C’est finalement le 17 juin 1975 qu’elle a reçu l’appel pour lui dire qu’elle était engagée. Elle était si fébrile et émotive au téléphone qu’on lui a dit d’attendre une ou deux journées avant de commencer afin qu’elle puisse être apte au travail.  

Lors de son premier jour de travail, le 19 juin, on a pris sa photo et on lui a remis son badge avant que le directeur du personnel lui annonce la nouvelle : elle ne pouvait pas porter l’uniforme, son badge, ni son arme. Elle devait donc attendre l’automne pour que la loi change et qu’elle puisse être assermentée. Elle a ainsi été confinée à faire du travail de bureau. « On m’appelait “rien du tout”, c’est le surnom que quelques policiers m’avaient donné », s’est-elle rappelée.  

Elle a ensuite été affectée à l’équipe des enquêtes spéciales. Ses collègues l’emmenaient faire de la patrouille en voiture-fantôme afin qu’elle puisse voir un peu la réalité du métier. Elle confie d’ailleurs que c’est avec eux qu’elle a vraiment eu la piqure de son métier.  

Le 11 septembre 1975, le moment qu’elle attendait avec impatience est arrivé : son assermentation. « C’est comme ça que je suis devenue la première policière au Québec. »

« On m’appelait “rien du tout”, c’est le surnom que quelques policiers m’avaient donné. »  - Nicole Juteau

Un début de carrière difficile  

Officiellement policière, elle a été envoyée à Shawinigan où elle a commencé à faire de la patrouille aux côtés de collègues qui ne voulaient pas d’elle — et de leurs femmes qui craignaient qu’elle vole leur mari.  

« Ils me disaient : “moi, il faut que je parle en mal de toi chez nous parce que ma femme est jalouse.” “On souhaite qu’il t’arrive de quoi.” “Ils vont voir que ça n’a pas sa place dans la police, une femme” », s’est-elle remémorée.  

La piqure du rôle d’agent double  

Après quelques années à faire de la patrouille, la policière est finalement devenue agente double. Évidemment, le fait qu’elle soit une femme était parfois un bon prétexte pour les équipes d’enquêtes. Ainsi, elle pouvait jouer notamment la femme d’un autre policier infiltré.  

« On m’appelle pour que je sois la conjointe d’un policier, mais ils ont fait venir deux autres filles, des secrétaires. Les autres, elles sont restées assises, elles n’ont jamais bougé. Moi, j’étais la seule armée, les policiers n’étaient pas armés », a-t-elle dit en racontant une de ses premières missions d’infiltration alors que la Sûreté du Québec tentait de trouver un suspect qui volait les personnes dans le couloir des toilettes d’un bar.  

Une autre fois, elle devait faire la femme d’un directeur de banque qu’un suspect avait prévu de séquestrer. Son rôle dans l’affaire : ouvrir la porte et sauter hors de la ligne de tir du SWAT qui devait abattre le suspect.  

« C’est là que j’ai eu le coup de foudre pour faire des enquêtes, pour aller faire du travail d’agent double. »  

Par la suite, elle s’est spécialisée dans ce domaine, infiltrant des groupes criminalisés à plusieurs reprises.

Nicole Juteau, Agent double

©Gracieuseté

Pour ses missions d’infiltration, Nicole Juteau se déguisait et pouvait être méconnaissable.

L’après  

C’est avec une carrière bien remplie que Nicole Juteau est maintenant à la retraite. Toutefois, elle continue d’aider les jeunes femmes qui espèrent joindre, comme elle, les forces de l’ordre.  

Pour l’anecdote, les deux autres femmes qui étaient avec elle à l’ENPQ n’ont finalement pas rejoint le corps policier, préférant travailler au sein de la sécurité publique de la Baie-James.   

Pour ceux qui désirent en connaitre davantage sur la carrière de cette Mascouchoise, La téméraire : Nicole Juteau, de première policière au Québec à agente double, sa biographie complète, est disponible dans les librairies ainsi que dans les bibliothèques de Terrebonne et Mascouche.

Commentaires

Inscrivez votre commentaire

Politique d'utilisation Politique de confidentialité

Agence Web - Caméléon Média