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09 mai 2020

Pénélope Clermont - pclermont@lexismedia.ca

Témoignage : Faire de son mieux, un jour à la fois

Une Terrebonnienne du milieu scolaire souhaitant garder l’anonymat a fait parvenir un témoignage à La Revue concernant sa décision d’aller prêter main-forte au personnel en CHSLD. Malgré l’hésitation de laisser son fils de 2 ans pendant quelques jours, voire plusieurs, et les difficultés rencontrées dans un milieu jusqu’alors inconnu, elle garde espoir de gagner la bataille.

« Vite. Tout va vite dans ma tête. Il ne faut pas oublier la brosse à dents, les culottes de grand garçon, les livres qu’il adore lire avant l’heure du dodo et surtout Nuage. C’est comme ça que mon fils a surnommé son doudou préféré. Son meilleur ami. Il ne faut surtout pas oublier Nuage. Hop, dans la valise! En quelques jours, j’ai pris contact avec la responsable des ressources humaines d’un CHSLD de ma région, j’ai reçu une courte formation d’une journée et je m’apprête à… je ne sais pas ce qui m’attend. Ce que je sais, par contre, c’est que le sens du devoir m’appelle. Demain, j’irai porter mon fils chez sa grand-mère pour quelques jours, plusieurs sans doute. J’ai besoin de quelqu’un qui s’occupe de mon fils pendant que je m’occuperai de nos aînés et bien que les risques de complications soient moindres pour lui, je veux le protéger d’une potentielle contamination à la maison. J’y vais un jour à la fois, comme je le fais depuis déjà huit semaines. Que ça va vite, huit semaines se sont écoulées depuis le début du confinement. Oui, huit semaines depuis le jeudi soir 12 mars, où j’ai appris que je ne rentrais pas au travail le lendemain. Huit semaines où, ce même soir-là, je dégustais mon dernier repas au restaurant avec mon amoureux, ne comprenant pas exactement ce qui se préparait au Québec. Au début, je dois l’avouer, c’est la peur qui est survenue la première. Une peur pour mes parents, mes beaux-parents, mon fils. Puis, la confusion, devant toutes ces annonces et ces mesures qui se contredisent les unes les autres. Peu après, ce sont les sentiments de sécurité et de gratitude qui sont venus égayer mes journées, moi qui restais à la maison à m’occuper de mon garçon. Je le voyais grandir, acquérir la propreté, parler au téléphone des heures avec ses grands-mères, se faire des scénarios si extraordinaires et créatifs. Quelle chance j’avais d’être avec lui, ici et maintenant, à profiter de la vie! Et soudainement, une bombe a explosé violemment, juste à côté de moi. Je me suis sentie propulsée, blessée et abasourdie. Je voyais, à travers les reportages. J’entendais à travers les témoignages. Je ressentais la souffrance, déjà présente depuis longtemps, qui continuait d’envahir le corps, l’esprit et le cœur de nos aînés dans les CHSLD. C’est à ce moment précis que la peur, la confusion et la gratitude se sont envolées. Il n’était plus question de moi, mais des autres. Il était question d’eux. Demain, je me sépare de mon fils, de mon trésor. Cela me bouleverse, mais je sais que je fais le bon choix. Je regarde mon cadran, il est 1 h 30. Je suis incapable de dormir. Les pensées se succèdent une à la suite des autres, impossible de les arrêter. Je pense aux aînés, je pense à mon fils, je pense à mon amoureux, je pense au virus, je pense à ma vie, je pense aux jugements des autres. Suis-je complètement folle de vouloir donner un coup de main? Est-ce que mon fils m’en voudra d’être séparé de moi quelque temps? J’espère et je tente de me convaincre que plus tard, lorsqu’il comprendra, il pourra être fier de sa maman qui est allée braver ce « vérus », comme il le dit si bien du haut de ses 2 ans et demi. Je dois dormir, car sinon, je sens que je vais changer d’idée. Pourquoi ne suis-je plus si certaine de ma décision? La peur remonte… est-ce la peur d’avoir peur? La peur de ce que je verrai aux fronts? La peur de ne pas pouvoir faire grand-chose devant ce désastre déjà bien existant, déjà trop entamé? Je me lève et je m’assois près de ma fenêtre, je regarde dehors. Je tente de trouver à l’extérieur, dans la nature, dans le ciel, quelque chose qui pourra me rassurer et répondre à toutes mes questions. Rien, sauf la noirceur. Je prends mon cellulaire et je commence à regarder des photos de mon garçon. Je l’envie pour cette si belle naïveté qu’il possède encore devant la vie. Je le trouve si beau et pétillant. Je le trouve courageux aussi, lui qui a fait deux séjours à l’hôpital dernièrement pour des pancréatites douloureuses. Il est unique, ce petit bonhomme. Il me donne la force et tranquillement, je retrouve l’espoir. Puis, je décide de regarder des photos de ces aînés dans nos centres. Je vois leur regard, je pense à leurs enfants probablement inquiets, je pense à leur vie. Non, c’est inacceptable qu’ils la terminent dans ces conditions. Je veux leur apporter un peu de douceur, un peu de chaleur et de tendresse. Je veux être leur Nuage pour quelque temps, leur doudou qui leur murmura : ça va bien aller. Première journée de travail. Dans l’auto, en chemin vers le CHSLD, j’écoute de bonnes chansons pour me donner de l’énergie, pour arriver avec le sourire et tenter de le transmettre à mes collègues et aux résidents. J’arrive sur place. Une personne m’accueille pour une mini formation de 3 h. Elle est sympathique et passionnée. On fait le tour, mais je la sens préoccupée. Lorsqu’elle croise une de ses collègues, elle demande des nouvelles des résidents du 3e étage, l’étage COVID. Elle nomme les noms des résidents qu’elle côtoie depuis six ans. Sa collègue lui répond : mort, mort aussi, morte aussi. Je la sens triste, mais elle continue de m’expliquer mes tâches. À travers la fenêtre, nous voyons un camion qui vient chercher les corps des personnes décédées. Elle a les yeux pleins d’eau. Je lui dis de prendre un moment, je suis là pour l’aider, elle aussi. Elle est fragile, son cœur est brisé. Je pense que je la comprends. Je rencontre des résidents, tous différents et très attachants. Je leur donne à manger, à boire, je fais leur connaissance, j’écoute les plus inquiets, les plus tristes, je prends mon temps. Je vois des employés qui tentent de faire de leur mieux. Je constate que tous viennent de l’extérieur. Une préposée à la retraite, une enseignante en soins infirmiers, une étudiante en fin de session, des préposées des agences. Nous sommes toutes dans le même bateau, on ne sait pas trop où on s’en va ni quand on s’arrêtera, mais on navigue. Où est le capitaine? Aucune idée. On laisse le vent nous guider, on ferme nos yeux et on essaye d’avoir confiance. Je rentre au CHSLD les trois jours suivants. Tantôt on manque de personnel, tantôt on court pour avoir des jaquettes propres pour les chambres en isolement, tantôt je suis à la buanderie, tantôt je suis en cuisine. J’ai de plus en plus de tâches, mais de moins en moins de temps avec les résidents. L’enseignante en soins infirmiers me sollicite, elle m’explique qu’il faut que les résidents bougent davantage. Peux-tu t’en charger? Oui, j’aimerais bien. Je sais qu’elle me fait confiance. En trois jours, on a développé un bel esprit d’équipe. Je vais en faire ma priorité, ils doivent se maintenir en forme. Je suis là pour eux après tout. Je commence par la première chambre que je vois. On fait deux répétitions de l’exercice recommandé. Ça va bien. Malheureusement, c’est déjà le temps de passer le dîner, puis de ramasser les cabarets. La préposée a besoin de moi. Une dame sort de sa chambre, nous devons la ramener rapidement pour éviter la contagion. On n’a plus de jaquettes, je dois faire un tour à la buanderie et en ramener à l’étage. Zut! Il y en a plus à la buanderie. Je remonte. On a un nouveau cas suspecté, on doit le mettre en isolement. Je colle des affiches sur la porte de sa chambre, je prépare tout le matériel à l’entrée. L’enseignante en soins infirmiers m’interpelle à nouveau, il faudrait aider une dame à manger, elle a beaucoup de difficultés à le faire lorsqu’elle est seule. D’accord, j’y vais. Je passe plusieurs minutes avec elle. Je tente d’être créative et de lui changer les idées afin de l’amener à manger un peu. C’est difficile. Le temps file. Elle a pris deux bouchées. Est-ce que je continue? Quelle est la priorité déjà? Les résidents doivent bouger. Bon, madame a bu tout son jus de légumes au moins, c’est déjà ça. Je reviens vous voir, c’est ce que je lui dis. Malheureusement, je n’ai pas eu le temps de revenir. Pas plus que de faire bouger les résidents. J’aimerais prendre mon temps, mais je n’en ai pas. Pas suffisamment. Et voilà qu’aujourd’hui j’apprends que les écoles rouvriront dans les prochains jours. L’école, ma première mission. J’avais promis à ma direction d’être prête et en poste lorsqu’elle aurait besoin de moi. Mon cœur est déchiré à l’idée de savoir que je ne pourrai peut-être plus aider un milieu de vie où les besoins sont criants. J’irai chercher mon fils chez sa grand-mère. Je pourrai à nouveau le serrer contre moi. Sa chaleur me manque. Voilà ma seule consolation. Je suis allée au CHSLD sept jours au total. J’ai fait de mon mieux, c’est ma nouvelle devise. Pour les gens qui me connaissent bien, avant la pandémie, ma devise était : on choisit nos batailles. Cette bataille-là, je l’ai choisie. Je réfléchis à l’idée de me rendre disponible les fins de semaine pour supporter encore un peu les résidents et les employés. Les inquiétudes sont encore présentes et prennent parfois le dessus sur mon énergie. Je verrai. Un jour à la fois. Cette bataille-là, elle est loin d’être terminée, mais il faut la gagner. »

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